"La résurrection de Borsalino
06/12/2007-11h13 - François-Guillaume Lorrain - © Le Point.fr
Pour sa première diffusion depuis 1991, le film de Jacques Deray, Borsalino , aura donc réuni 4,3 millions de spectateurs. La meilleure audience pour France 3 depuis la rentrée, mais une légère déception pour Patrick Brion, le créateur et la célèbre voix du Cinéma de minuit , qui avait beaucoup oeuvré pour que ce film devenu invisible puisse être à nouveau diffusé. Le hasard, mais ce n'en est peut-être pas un, avait placé en face sur TF1 Une chance sur deux , l'autre film, signé Leconte, qui avait réuni à l'affiche Delon et Belmondo. Et c'est Une chance sur deux qui l'a emporté, avec 5,4 millions de spectateurs. "Gageons que beaucoup de gens n'avaient jamais vu le film de Leconte et que d'autres ont enregistré sur leur magnéto Borsalino", plaisante Patrick Brion. Sans aller jusqu'à la querelle des anciens et des modernes, cette courte défaite de Borsalino en dit peut-être assez long sur notre curiosité - ou notre nostalgie - pour les grands films populaires de notre patrimoine.
Pourtant, on aurait pu penser que les Français auraient préféré voir Delon et Bébel quand ils étaient jeunes et fringants. Mais peut-être avons-nous une tendresse pour les héros fatigués qui aiment à parodier ce qu'ils furent. En tout cas, le zapping était cruel. Sur la 3, Delon et Belmondo avaient 35 ans et une beauté insolente. Sur la une, ils accusaient 27 années supplémentaires. La coïncidence des deux films était si étrange - "aussi probable que de gagner au loto", a déclaré Agnès Vincent, la veuve de Jacques Deray - qu'on aurait pu croire que Delon et Belmondo venaient de mourir, tous les deux le même jour, un peu comme Antonioni et Bergman.
Ce fut long pourtant d'obtenir la possibilité de diffuser Borsalino : "Deux ans et demi de négociations, résume Brion. Les droits de production étaient toujours à la Paramount, coproducteur du film avec Alain Delon, mais ces droits étaient en jachère. Nous avons dû convaincre la Paramount de réunir autour d'une table tous les ayants droit : scénariste, auteur du livre, acteurs, techniciens, pour qu'un nouvel accord soit signé." La négociation a abouti, ce qui a permis à France 3 d'acheter auprès de Paramount les droits pour deux diffusions. Autre conséquence : on verra bientôt Borsalino en DVD, édité par la Paramount.
Ces difficultés sont monnaie courante pour les grands films. La Vérité de Clouzot, avec Bardot, a longtemps été bloqué, car un scénariste avait demandé trop d'argent à la Columbia lors de la renégociation. L'Étranger , de Visconti, une coproduction entre l'Italie et l'Amérique, est toujours invisible. Profession reporter , d'Antonioni, a dormi durant des années sur les étagères, car Nicholson, qui en avait acquis les droits, ne voulait plus en entendre parler...
Patrick Brion, bible vivante du 7e art, a encore d'autres anecdotes, plus étonnantes encore. "J'ai voulu diffuser Quai des Orfèvres , de Clouzot. Le distributeur me dit : La veuve de l'auteur du livre adapté, Steeman, ne veut rien entendre. J'ai appelé cette dame, qui m'a répondu : Lors de la dernière diffusion, j'ai lu un article qui disait ceci : Quai des Orfèvres est un chef-d'oeuvre adapté d'un mauvais livre. Eh bien, ce chef-d'oeuvre ne passera plus jamais. " Il fallut attendre la mort de la veuve Steeman.... Brion s'est aussi heurté au cas de La Femme et le Pantin . "Serge Silbermann avait produit Cet obscur objet du désir , qui est une adaptation de La Femme et le Pantin , de Pierre Louys. Pour ne subir aucune concurrence, il a racheté les droits, afin de les bloquer, des trois premières adaptations, signées Baroncelli, Sternberg et Duvivier !".
Patrick Brion éprouve parfois de très grands plaisirs : "Nous venons de dénicher un des 10 films les plus recherchés du monde. Il s'agit de Bardelys , de King Vidor, avec John Gilbert. Serge Bromberg l'a retrouvé dans les boîtes d'une cave en France. Lorsque nous aurons retrouvé les ayants droit, nous pourrons le diffuser."
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