Fernando Trueba

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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manuma
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Fernando Trueba

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Ca me démangeait...
Profondo Rosso a écrit : 30 janv. 22, 14:24 Belle Epoque de Fernando Trueba (1992)

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En 1931, un déserteur espagnol se réfugie dans une ferme isolée. Les quatre filles de l'agriculteur ont tôt fait de s'intéresser au jeune militaire qui ne peut s'empêcher de tomber amoureux de chacune d'elles.

Belle Epoque est pour Fernando Trueba une œuvre qui vient confirmer la reconnaissance critique et commerciale amorcée avec son film précédent Le Rêve du singe fou (1989). Belle Epoque est la pièce centrale d’une trilogie historique se situant dans les années 30, suivant Manolo (1986) et précédant La Fille de tes rêves (1998). Le film se situe en 1931, moment crucial dans l’histoire espagnole. Le pays se situe dans une période intermédiaire entre la chute du régime royal des Bourbons et l’avènement de la Seconde République, effective le 14 avril 1931. La population est ainsi déchirée entre ces deux possibilités de pouvoir, ainsi qu’avec les idéologies qui s’y rattachent. Laïcité, fin des inégalités, liberté de la presse notamment pour la République tandis que le poids de la tradition, l’influence de la religion restent encore un héritage de la royauté. Belle Epoque scrute précisément ces contradictions, mais sous un angle surprenant de satire légère et lumineuse. Cela n’empêche pas le film de s’ouvrir sous une couche de comédie noire. Fernando (Jorge Sanz), jeune déserteur est capturé par deux soldats de l’armée monarchique. Le plus âgés des deux, conscient des jours comptés du régime préfère libérer le prisonnier quand son compagnon (qui s’évérera être son beau-fils) est bien plus fanatisé et préfèrera abattre son collègue avant de se suicider à son tour. Tout l’absurde de la situation du pays est illustré dans cette entrée en matière, mais Fernando Trueba préfèrera l’exprimer dans une approche intimiste et tendre. Fernando va trouver refuge auprès de Manolo (Fernando Fernández Gómez) un vieux républicain vivant seul dans sa ferme avec lequel il va se lier d’amitié. Comme tous les étés celui-ci s’apprête à accueillir ses quatre filles, Clara (Miriam Díaz Aroca), Rocio (Maribel Verdú), Violeta (Ariadna Gil) et la cadette Luz (Penelope Cruz). Fernando va tomber amoureux et avoir une aventure avec chacune des filles qui chacune représentent une contradiction sociale et/ou morale reflétant le clivage du pays.

L’histoire se déroule dans un cadre rural et se propose de montrer un microcosme amusé de cette situation. Point de grand discours cependant, l’approche tendre et légère de Fernando Trueba est entièrement au service des personnages plutôt que d’une démonstration politique. Le joyeux marivaudage déroute par sa totale absence de manichéisme, les protagonistes étant toujours hésitant entre la logique d’un système, d’une éducation qu’il suivent ou renient au gré de leurs désirs. La crise d’identité est de mise pour Violeta élevée et considérée comme un homme par sa famille et qui mène littéralement la danse lors de sa grande scène d’amour avec Fernando, où Trueba renverse tous les codes. Le prétexte d’un carnaval la voit revêtir un uniforme militaire tandis que Fernando est déguisé en soubrette, un tango endiablé puis une étreinte renverse les codes homme/femme ou supposé dominant/dominé avec une inventivité et modernité confondante. Rocio hésite à s’unir avec Juanito (Gabino Diego) son fiancé étouffé par une mère royaliste et bercée de mœurs traditionnalistes. Rocio en devient une figure hésitante et malicieuse, tour à tour sur le recul puis provocante, propageant cette schizophrénie à son fiancé fou de désir passant de républicain à royaliste au gré des sursaut de sa libido. L’aîné Clara est une jeune veuve supposée se chercher un parti honorable mais également tiraillé par la solitude sans se résoudre à céder à des prétendants vieillissants. Fernando n’est pas l’objet d’une rivalité amoureuse entre les sœurs, mais plutôt le catalyseur de ce tiraillement social et intime qui les agitent - c'est un peu Les Proies de Don Siegel dans un versant positif. Dès lors l’acte est assez vite consommé avec les trois aînées dans des situations aussi cocasses que sensuelle, que Fernando Trueba sait mettre en valeur au gré de chaque caractère, chacune des formes de beauté des actrices. L’inconséquence de Fernando à tomber amoureux à celle qui lui cède ou l’assaille est aussi aussi par ce cœur d’artichaut une métaphore des élans contradictoires espagnols. Seule la cadette Luz, la plus timide et sincèrement amoureuse, est exclue de ce marivaudage : par ses aînées l’éloignant dès que les confidences se font plus croustillante, et par Fernando ne sachant pas lire dans son propre cœur alors que dès l’ouverture nous devinons que son cœur penche vers elle.

La dimension libertaire de cette petite famille n’est jamais questionnée ni jugée, et le contexte rural constitue une sorte de bulle où chacun est libre de suivre la norme où se perdre à sa guise. L’arrière-plan politique est un fil rouge dont les personnages sont tenus au courant, et les quelques anicroches directes qu’il suscite sont plutôt source de comédie. Fernando Trueba trouve ainsi un équilibre assez étonnant en signant un film qui est à la fois très léger, conscient et profond quant à la période charnière dans laquelle il se situe. La dernière partie atteint des sommets dans ce mélange de tradition et d’hédonisme avec l’apparition de la figure détonante de la mère Amalia (Mary Carmen Ramírez), mais l’on ressent malgré la victoire Républicaine un sentiment de paradis perdu. A la fin de l’été, toutes et tous retournent à leur quotidien, certains quittent même le pays, et le spectateur sait bien que les heures sombres du Franquisme sont en ligne de mire quelques années plus tard. C’est cette mélancolie qui domine en voyant le vieux Manolo retourner à sa solitude. Cette parenthèse enchantée restera cependant inoubliable et sera un immense succès, saluée par 9 Goya et l’Oscar du meilleur film étranger. 5/6
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Profondo Rosso a écrit : 8 févr. 22, 02:26 Manolo de Fernando Trueba (1986)

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En 1940, en Espagne, deux frères (Manolo, un adolescent de 16 ans, et Jesus, 8 ans) sont emmenés par leur grand frère dans un sanatorium à la frontière portugaise... Là-bas, Manolo vit ses premières aventures amoureuses.

El año de las luces inaugure la trilogie historique de Fernando Trueba, se situant dans l'Espagne au carrefour de la démocratie et du franquisme dans les années 30/40 et que suivront Belle Epoque (1992) et La Fille de ses rêves (1998). Le film se situe en 1940, un an après la fin de la Guerre d'Espagne et l'arrivée au pouvoir de Franco. Fernando Trueba use ici d'un postulat très proche de ce qu'il fera dans Belle Epoque mais dans une tonalité très différente. Belle Epoque se situe au début des années 30, dans une Espagne s'apprêtant à basculer dans la démocratie et offrirait une œuvre lumineuse, où les carcans moraux et religieux sautent pour céder à un hédonisme radieux et dépolitisé. Réalisé avant mais historiquement situé après, El año de las luces nous montre au contraire la fin de cette parenthèse enchantée. Manolo (Jorge Sanz), adolescent de 16 ans est emmené par son grand frère, gradé franquiste, passer un temps au sein d'un sanatorium. Ce lieu n'est peuplé que de femmes, infirmières, enseignantes ou jeunes filles venues passer leur service social. Quelques dialogues durant le trajet vers le sanatorium témoignent d'une certaine innocence disparue pour Manolo, déjà cynique dans ce qu'il a vu de certains évènements durant la guerre. Il expliquera ainsi à son grand frère que le camp franquiste qu'il a soutenu n'a pas hésité à bombarder au hasard des innocents dont sa propre famille, et ce dernier n'aura qu'un désinvolte "c'était la guerre" à lui répondre.

Il reste pourtant un domaine où Manolo reste inaccompli, où la doctrine dominante ne lui a pas encore fait perdre ses illusions, les amours. On suit donc le quotidien de l'adolescent au sein du sanatorium et Fernando Trueba use de toutes les possibilités de mise en scène pour dépeindre ses hormones en ébullitions ainsi entouré de femmes. La moindre situation, rapprochement et discussion dévient prétexte à un regard à la dérobée dans un décolleté, frôlement inattendu d'un fessier, sentir le doux parfum d'une chevelure. Trueba va de l'explicite et franchement paillard (la fâcheuse tendance de Manolo à se masturber plusieurs fois par jour) à un érotisme discret lorsque chaque soir, il observe l'ombre d'une employée se déshabillant dans le dortoir. Le désir est d'ailleurs réciproque, entre les jeunes filles oscillantes entre la moquerie, le rejet et le flirt discret face à ce jeune homme cachant tant bien que mal son émoi. Les adultes ne sont pas en reste avec une directrice (Verónica Forqué) ravalant sa libido sous ses responsabilités. Cependant, tout ce climat très naturel se doit d'être étouffé par une moralité hypocrite. Trueba dénonce là toute la facticité des dogmes religieux, éducatif et moraux visant davantage à étouffer l'identité profonde de l'individu plutôt que de veiller à sa vertu. Prêtre défroqué (José Sazatornil), enseignante bigote (Chus Lampreave) voient leur répression vindicative s'exprimer à l'échelle de leur secret ou frustration. Ils imaginent dans les mœurs des autres le pire de ce qu'ils ont déjà transgressé ou de ce qu’ils sont frustrés de ne pouvoir faire. Trueba prolonge ainsi cette moralité à l'échelle politique où tous ces symboles se rangent sous l'uniformité du franquisme et invectivent ceux qu'ils soupçonnent d'idéologie différente comme le communisme.

Par moment le film évoque une version adolescente et plus sensuelle de la bande-dessinée Paracuellos de Carlos Gimenez (grande inspiration notamment de L'Echine du diable de Guillermo Del Toro) dans sa manière de bafouer l'innocence. Ainsi la vraie romance tendre et chaste qui naîtra entre Manolo et Maria Jesus (Maribel Verdú) se heurtera aux regards inquisiteurs, à l'imagination tordue de toutes ces figures supposées de la bienséance. On ressent d'ailleurs l'influence de cette éducation où chaque baiser arraché est coupable, toute promiscuité est fébrile, et que l'on se sent obligé d'avouer à demi-mot en confession. On sent vraiment qu'avec l'extravagance du suivant Belle Epoque, et notamment par la réminiscence du casting (où Jorge Sanz sera de nouveau un jeune homme bien entouré, notamment encore par Maribel Verdú, la redite de certaines situations), Fernando Trueba a voulu réaliser deux œuvres miroir. Heureusement la légèreté n'est pas absence de ce récit d'initiation, notamment les entrevues avec le truculent homme à tout faire nostalgique de sa jeunesse dissolue à Paris dont il partage les détails à Manolo. Une œuvre sensible et attachante, qui revêt les maux des premiers amours d'un funeste contexte politique, à l'image de ce dernier plan sur Manolo définitivement plus un enfant. 4,5/6

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Profondo Rosso a écrit : 13 févr. 22, 04:28 La Fille de tes rêves de Fernando Trueba (1998)

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Une troupe d'acteurs espagnols vient en Allemagne pour un tournage organisé dans le cadre d'une collaboration entre franquistes et nazis. Mais le Dr Goebbels tombe amoureux de l'actrice principale, ce qui va changer les conditions du tournage. Au moment où se déroule le film, la guerre civile fait rage en Espagne.

La Fille de tes rêves vient conclure en beauté la trilogie historique de Fernando Trueba après El año de las luces (1986) et Belle Epoque (1992). L'arrière-plan du récit est toujours l'Espagne des années 30 alors en pleine guerre civile, mais le cadre et le propos se veut cette fois plus ambitieux encore. Le film s'inspire d'évènements réels, à savoir le tournage en Allemagne nazie de deux films par une équipe et des acteurs espagnols, Carmen, la de Triana (1938) et (comme cela se faisait encore) sa version allemande Andalusische Nächte (1938). La vedette féminine des films était Imperio Argentina, chanteuse et actrice argentine installée en Espagne où elle compte notamment Franco parmi ses admirateurs. Le tournage des films est ainsi une manière d'entériner l'accointance entre les régimes franquistes et nazi, Imperio Argentina s'installant en Allemagne sur invitation de Goebbels - ses sympathies douteuses lui valant quelques boycotts lorsqu'elle se produira à l'étranger. Fernando Trueba s'empare donc de cette matière pour un pur récit romanesque.

Nous suivons donc une équipe de tournage fraîchement arrivée en Allemagne, amenant avec eux leurs divergences politiques, la brutalité qu'ils connaissent du régime franquiste qui va se confronter à au nazisme. Le ton se fait dans un premier temps très enlevés, comme une relecture façon film historique de La Nuit américaine. Egos surdimensionnés, petites mesquineries, liaisons plus ou moins secrètes entre les uns et les autres, tout cela se déroule avec mordant dans les dialogues et situations, comme lorsque le très narcissique, macho, et narcissique Julián (Jorge Sanz) devient la cible de la star masculine allemande gay (Götz Otto). Cet élément comique nous introduit cependant le harcèlement dont fera l'objet Macarena (Penelope Cruz en pendant de Imperio Argentina) de la part de Goebbels (Johannes Silberschneider) en personne. L'attrait pour les arts pour le ministre de la Propagande se manifeste ainsi par l'usage de son statut pour coucher avec les actrices en vue. Les personnages sont ainsi déchirés entre les concessions inhérentes à leurs ambitions, toute opposition mettant à mal leur carrière et peut-être même leurs vies. Tout cela se met en parallèle de la situation en Espagne, notamment Macarena contrainte par l'emprisonnement de son père par le régime franquiste et forcée de subir les avances de Goebbels. L'individualisme de la troupe se confronte s'accommode donc de ce contexte, notamment le réalisateur (Blas Fontiveros) lié à Macarena mais la poussant dans les bras de Goebbels.

Peu à peu les protagonistes sont forcés d'observer le monde qui les entoure. Par besoin de figurants hispaniques crédibles, des juifs sont enrôlés et sortis de leurs camps de concentration. Les inégalités de leur traitement frappent ainsi nos héros (un glaçante scène d'assaut de quartier juif ayant précédés) et particulièrement Macarena qui va s'attacher à un d'entre eux Léo (Karel Dobrý). Fernando Trueba joue à plein des ruptures de ton, passant de séquences de tournages flamboyantes, d'apartés comiques hilarants, à de glaçant retour au réel. Lors d'une séquence de comédie musicale pétaradante où Macarena donne de sa personne, elle remarque la mine sinistre des figurants juifs qui dénote dans l'atmosphère ce qui va éveiller son intérêt pour eux. Dans la dernière partie un quiproquo va faire confondre Julián avec un juif évadé et lui faire gouter à la torture ce qui lui vaudra cette réplique aussi savoureuse que glaçante : Torturé, moi, un fasciste !. Sans atteindre la même virtuosité, le film prend un tournant à la To Be or not to be où toute la folie douce des comédiens sert désormais une noble cause en voulant sauver un juif en fuite. Les tonalités loufoques et sérieuses s'équilibrent enfin, la menace fasciste réelle pouvant être surmontée par l'imaginaire et l'excentricité du monde du spectacle. On pourrait se dire qu'il manque une grande scène de mise en abyme mais expliciter cette idée, mais Trueba l'a en fait placée à une échelle plus intime lors d'une des plus belles scènes du film. Ayant appris en coulisse la mort de son père, Macarena doit jouer une scène de deuil par la suite et là Trueba se place à l'échelle parfois manipulatrice du réalisateur (usant du vécu de ses comédiens pour stimuler leur jeu) et de celle totalement empathique qu'exprime le jeu intense de Penelope Cruz à ce moment-là. C'est réellement avec ce rôle que l'actrice devient la grande figure du cinéma espagnol (la collaboration avec Almodovar aura démarré l'année précédente avec En chair et en os (1997) et la reconnaissance internationale arrive l'année suivante dans Tout sur ma mère (1999)). Un idéal de cinéma populaire, romanesque et concerné qui constitue sans doute le plus grand succès (avec Belle Epoque) commercial et critique de Fernando Trueba. Il en donnera une suite tardive en 2016 avec La Reine d'Espagne racontant le retour de Macarena dans l'Espagne franquiste. 5/6

Et pour info un dvd français existe pour celui-là, et le film est disponible avec sa suite sur Amazon Prime mais... En VF ! :twisted:

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Re: Fernando Trueba

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Profondo Rosso a écrit : 23 févr. 22, 00:54 Le Rêve du singe fou de Fernando Trueba (1989)

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Dan Gillis, un scénariste américain récemment installé à Paris, est engagé par le producteur de cinéma Julien Legrand pour écrire un script pour un film peu conventionnel mis en scène par Malcolm Greene, jeune réalisateur inconnu. Gillis, intrigué par la personnalité de Greene, accepte malgré les objections de Marilyn, son agent. Gillis rencontre Jenny, la sœur cadette de Malcolm et devient obsédé par cette jeune femme manipulatrice.


Fernando Trueba délaisse son Espagne natale pour la grisaille parisienne et les joies de la production internationale avec Le Rêve du singe fou. Il adapte là le roman éponyme de Christopher Frank dont on ressent en creux le sens du malaise malheureusement bien mieux exploité dans d'autres fameuses transpositions comme L'important c'est d'aimer d'Andrzej Zulawski (1975) ou même L'Année des méduses (1983) qu'il réalisera lui-même. Le tournage en anglais porté par un casting improbable (Jeff Goldblum, Miranda Richardson, Anémone, Arielle Dombasle, Daniel Ceccaldi manifestement en difficulté avec la langue de Shakespeare) trahit un peu le problème ressenti tout au long du film, un certain manque de direction et d'identité.

Le postulat intrigue dans un premier temps avec Dan (Jeff Goldblum) scénariste américain installé à Paris qui se voit engagé par un producteur (Daniel Ceccaldi) pour signer le script du premier long-métrage d'un jeune réalisateur anglais, Malcolm Green (Dexter Fletcher). Malcolm s'avère aussi fascinant par son charisme étrange qu'agaçant dans la prétention artistique qu'il dégage lors des scènes de co-écriture où l'on devine le film arty poseur qu'il envisage. Dan s'étonne ainsi face à ce talent pas encore démontré que les portes s'ouvrent si facilement et alors qu'il s'apprête à quitter le projet, comprend pourquoi. Tombé sous le charme de Jenny (Liza Walker) la jeune sœur de Malcolm, Dan poursuit finalement la collaboration. Jenny se montre particulièrement convaincante à le faire rester en cédant à ses avances, mais il y a comme quelque chose de perturbant dans l'attitude de la jeune femme qui va le hanter jusque dans ses rêves. Trueba peine vraiment à distiller l'atmosphère trouble, onirique et sensuelle attendue, quel que soit les directions voulues par le récit. La possible satire du milieu du cinéma tourne court, tout comme l'éventualité d'une mise en abyme par rapport au scénario que compte filmer Malcolm Green (direction explorée par Christopher Frank dans son roman La Nuit américaine qui donnera L'important c'est d'aimer). Ensuite la romance coupable et vénéneuse entre Dan et Jenny ne prend jamais vraiment à cause du manque certain de charisme de la femme-enfant jouée par Liz Walker qui ne provoque aucune fascination ni ambiguïté (victime ou manipulatrice, on ne se pose même pas la question au bout du compte). Cet émoi qu'elle suscite passe soit par le dialogue (quand on comprendra qu'elle se donne aux différents décideurs pour permettre la mise en production du film de son frère), soit par des situations trop timorée ou platement filmée pour saisir ce qui captive les hommes en elle. Il n'y a ni sensualité, ni malaise que pourrait susciter les traits trop juvéniles du personnage (notamment quand plane le spectre de l'inceste fraternel) et finalement il faut tout l'abattage d'un Jeff Goldblum très impliqué pour admettre que Jenny peut perturber l'équilibre d'un homme.

Un dernier point aurait pu sauver l'ensemble, à savoir capturer l'atmosphère d'un Paris 80's interlope façon Frantic de Roman Polanski. Là encore c'est raté, on navigue entre trois appartements, un bout de ruelle et un restaurant sans ressentir la moindre ivresse ni inquiétude à l'exception de la toute dernière scène à la superbe idée morbide mais là encore platement filmée. Une traversée de frontière pas très heureuse donc pour Fernando Trueba pour un film qui vieillit assez mal mais qui étrangement lancera le début de reconnaissance internationale du réalisateur. 2/6
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Re: Fernando Trueba

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Cinéfile a écrit : 23 févr. 22, 18:26
Profondo Rosso a écrit : 23 févr. 22, 00:54 Le Rêve du singe fou de Fernando Trueba (1989)
2/6
Aïe. (je l'ai peut être un peu trop survendu le mois dernier celui-là :mrgreen: = c'était mon film du mois)

Car au fond, je suis tout à fait d'accord avec toi sur les faiblesses/maladresses, et plus globalement le manque de direction du film. Mais finalement, c'est le plaisir d'être devant un objet cinématographique aussi improbable qu'en même temps très "de son époque" (mode du thriller vénéneux + le lien avec Frantic qui m'a aussi sauté aux yeux, même une évocation par anticipation de la partie parisienne de Lunes de Fiel etc), qui a pris clairement le pas dans mon évaluation générale. J'ai d'ailleurs, et pas plus tard que ce jour, commandé le roman de C. Frank pour me replonger dans cette histoire.

Ce qui m'a étonné après quelques recherches, c'est que contrairement à ce que j'avais imaginé au départ, il ne s'agit absolument pas d'un film de commande ! Trueba avait déclaré à la sortie qu'il constituait en fait son film "le plus personnel" jusqu'à alors. Il avait en effet lu le roman et avait été très touché par le personnage principal : un scénariste trentenaire immature, qui quitté par sa femme, se retrouvait à élever seul (et pas très bien) son fils, tout en développant une obsession pour une autre femme (qui aurait pu quasiment être sa fille). Puis, il s'était précipité vers son producteur. Il est vrai que cet intérêt initial du réalisateur n'est pas très clairement et efficacement exploité dans l’œuvre finale. En revanche, et même c'est rendu plus souterrain par la casting international et le tournage en anglais, on peut tout même deviner la (grande) francophilie de Trueba, qui deviendra de plus en plus manifeste avec le temps.
Profondo Rosso a écrit : 23 févr. 22, 19:46 Oui pareil j'ai lu que Trueba a vraiment noué une vraie fascination pour le roman mais pour moi malheureusement ça ne se matérialise pas de manière réussie à l'écran, dommage. Ca fait même un peu peur à tenter son autre production internationale, Two Much avec Antoni Banderas et Melanie Griffiths qui n'a pas très bonne réputation :mrgreen: D'ailleurs grosse tuile avec Trueba j'ai commandé le BR Universal espagnol de La Reine d'Espagne qui était indiqué avec sous-titre anglais sur la fiche Amazon et il n'y a en fait que la seule VO. A l'inverse le film est sur Amazon Prime mais que en vf. J'avais beaucoup aimé La Fille de ses rêves et avait bien hâte de voir la suite mais ce ne sera pas pour tout de suite...
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Re: Fernando Trueba

Message par cinéfile »

(Merci Manuma ;-))
Profondo Rosso a écrit : 23 févr. 22, 19:46 Oui pareil j'ai lu que Trueba a vraiment noué une vraie fascination pour le roman mais pour moi malheureusement ça ne se matérialise pas de manière réussie à l'écran, dommage. Ca fait même un peu peur à tenter son autre production internationale, Two Much avec Antoni Banderas et Melanie Griffiths qui n'a pas très bonne réputation :mrgreen: D'ailleurs grosse tuile avec Trueba j'ai commandé le BR Universal espagnol de La Reine d'Espagne qui était indiqué avec sous-titre anglais sur la fiche Amazon et il n'y a en fait que la seule VO. A l'inverse le film est sur Amazon Prime mais que en vf. J'avais beaucoup aimé La Fille de ses rêves et avait bien hâte de voir la suite mais ce ne sera pas pour tout de suite...
J'ai découvert ces jours-ci Sé infiel y no mires a quién, son quatrième film, sorti juste avant Manolo/El Año de Las Luces. Pas sûr qu'une édition STA existe, mais je recommande le film (j'en ferai un commentaire plus détaillé d'ici peu). Maintenant, je suis curieux de son tout premier long-métrage : le fort justement nommé Ópera Prima (ou Cousine, je t'aime en français).
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Re: Fernando Trueba

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Sinon je pense me situer quelque part entre vous 2, concernant ce Rêve du singe fou, découvert l'an passé. Pas une réussite, mais ça demeure suffisamment étrange, voire improbable (côté distribution notamment) pour susciter la curiosité jusqu'au bout, avec le petit plaisir de retrouver l'univers et les habituelles obsessions de Christopher Frank - il y a aussi un peu de Josepha et Spirale là-dedans par moment. Mais il est certain que l'on a du mal à adhérer vraiment à cette histoire de passion dévorante, à comprendre ce basculement progressif du personnage principal dans la folie paranoïaque.
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Re: Fernando Trueba

Message par Profondo Rosso »

manuma a écrit : 23 févr. 22, 22:05 Sinon je pense me situer quelque part entre vous 2, concernant ce Rêve du singe fou, découvert l'an passé. Pas une réussite, mais ça demeure suffisamment étrange, voire improbable (côté distribution notamment) pour susciter la curiosité jusqu'au bout, avec le petit plaisir de retrouver l'univers et les habituelles obsessions de Christopher Frank - il y a aussi un peu de Josepha et Spirale là-dedans par moment. Mais il est certain que l'on a du mal à adhérer vraiment à cette histoire de passion dévorante, à comprendre ce basculement progressif du personnage principal dans la folie paranoïaque.
L'histoire a clairement du potentiel (le roman doit valoir le détour) mais ce n'est pas forcément bien exploité en l'état. Sinon merci pour le topic après le bide Bigas Luna je n'avais pas osé me ré aventurer à en ouvrir un, le segment cinéma espagnol était un bon compromis :mrgreen:
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Re: Fernando Trueba

Message par Profondo Rosso »

Bon j'ai finalement trouvé d'autres moyens pour le voir en VOSTF :mrgreen:

La Reine d'Espagne (2016)

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Dans les années 1950, en plein franquisme, la superstar internationale Macarena Granada retourne en Espagne, son pays natal, pour incarner Isabelle la Catholique dans un film biographique à grand budget. Quand il apprend son retour, Blas Fontiveros, un réalisateur qui l'a fait tourner dans une comédie musicale en 1938, retourne également à Madrid pour la revoir. Mais son arrivée déclenche une série d'événements inattendus qui perturbent le tournage du biopic surveillé par les hommes de Francisco Franco...

Fernando Trueba signe 18 ans après une suite tardive à La Fille de tes rêves (1998), l'un de ses plus grands succès. Le film vient s'ajouter à son cycle de films historiques autour des tumultes de l'Espagne des années 30 dans Manolo (1986), Belle Epoque (1992) et donc La Fille de tes rêves. On quitte cette fois le cadre des années 30, des questionnements pré guerre civile puis l'agitation de cette dernière pour avancer dans le temps sur l'Espagne franquiste des années 50. L'introduction faite de vraie/fausse scène d'archives met justement en parallèle l'évolution socio-politique du pays avec l'ascension de Macarena (Penelope Cruz) qui après sa fuite d'Espagne à la fin du premier film s'est installée à Hollywood où elle est devenue une grande star. Durant les années 50, Franco offre des crédits d'impôt avantageux permettant le tournage de grosses productions au moment où Hollywood exporte la production de ses films en Europe. Le choix d'un sujet évoquant la grandeur passée de l'Espagne est bien sûr un plus pour se voir autoriser un tournage et c'est dans ce contexte que Macarena, désormais naturalisée américaine, va revenir au pays pour tourner un biopic de Isabelle la Catholique. Le personnage de Macarena se détache cette fois d'Imperio Argentina qui était le vrai modèle implicite (et embellie en occultant ses amitiés douteuses pour Goebbels et Franco) de La Fille de tes rêves et semble s'inspirer au sens large des actrices latino (et pas forcément espagnoles) ayant eues une carrière hollywoodienne durant cette période comme Sophia Loren ou Gina Lollobrigida.

Le film est vraiment une variation et suite de La Fille de tes rêves (qu'il est plutôt nécessaire d'avoir vu, pas de vraie réintroduction pour le spectateur néophyte) où le cadre franquiste a remplacé celui de l'Allemagne nazie. On découvrira Blas Fontiveros (Antonio Resines) le beau personnage de réalisateur du film précédent, a passé suite à ces évènement la Deuxième Guerre Mondiale en camp de concentration. De retour en Espagne il retrouve famille et amis (toutes les réapparitions des héros du précédent sont d'ailleurs très touchantes) avant d'être dans le collimateur de la police secrète qui va l'envoyer en camp de travail. On se partage donc entre les coulisses de la superproduction hollywoodienne délocalisée, ses petits tracas superficiels et en parallèle la pénible subsistance de Fontiveros. Une nouvelle fois, Trueba excelle dans la satire du monde du cinéma en renouvelant l'humour par rapport à La Fille de tes rêves. On croque ainsi la désinvolture bien connue de certains réalisateurs américains exilés en Europe (Robert Aldrich sur Sodome et Gomorrhe (1962) étant un des plus fameux) ici avec un simili John Ford sénile et somnolant plus que ne dirigeant son film. Le lissage hollywoodien de la matière culturelle et historique des pays dont on adapte le passé est moquée dans certaines scènes kitsch où le musical boursouflé s'invite dans un décorum espagnol, dans l'interprétation très "yankee" de Cary Elwes censé jouer Ferdinand le Catholique. Les redites du premier film fonctionnent aussi tel le bellâtre et macho Julian (Jorge Sanz) de nouveau la proie de la star masculine gay (l'ombre de Cary Grant/Burt Lancaster planant la caractérisation). Le seul problème du film est de ne pas réussir à marier aussi harmonieusement l'équilibre entre causticité et vraie tension qui faisait l'intérêt de La Fille de tes rêves qui était un vrai To be or not to be ibérique. On ne ressent pas vraiment la même noirceur et anxiété de l'Allemagne nazie qui éteignait les rires dans le film de 1998 au sein de cette Espagne franquiste. Pendant un bon moment les deux intrigues semblent vraiment trop détachées l'une de l'autre et notamment à travers le personnage de Macarena.

Penelope Cruz tout comme son personnage était des stars en construction dans La Fille de tes rêves, alors qu'elles reviennent en diva au sein de l'histoire et dans la production même du film. Le détachement d'une Macarena exilée face à la réalité de son pays s'explique, mais moins quand elle se rattache aux destins de ses anciens amis comme Fontiveros qui fut son amant et mentor. La manière dont Trueba fait se rejoindre l'ensemble manque de l'évidence narrative de celle de La Fille de tes rêves qui combinait ambition romanesque et propos politique en les concentrant sur l'enjeu amoureux. C'est plus laborieux ici (malgré le charisme de Chino Darín en beau machiniste) mais tout finit par s'équilibrer dans la dernière partie où notre troupe de cinéma va devoir, après la Gestapo et Goebbels, duper la police franquiste pour faire évader leur ami. Tout le suspense, l'urgence et le sentiment de danger qui manquait précédemment retrouvent leur droit de manière plus marquée sans totalement retrouver la force du précédent. L'émotion fonctionne malgré tout grâce au lien noué désormais avec les protagonistes et Trueba ose une belle confrontation finale entre Macarena et Franco himself venu se gargariser sur le tournage. Bref pas le petit classique en puissance de La Fille de tes rêves mais une jolie et honorable suite. 4,5/6
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Re: Fernando Trueba

Message par cinéfile »

Fernando Trueba était invité au Festival du Cinéma Espagnol de Nantes cette année (encore) - festival qui se clôturait dimanche dernier - et j’ai eu la chance de pouvoir me déplacer quelques jours sur le festival pour assister (entre autres) à la Masterclass qu’il donnait le samedi soir.

Ce fut un excellent moment et j’espère vraiment qu’une captation vidéo a été faite (à surveiller le compte Youtube du Festival). On a pu y apprendre énormément sur sa jeunesse, sa grande francophilie (déjà palpable dans les films) et son rapport au succès. Et puis, il a gratifié l’assistance de nombreuses anecdotes, de bons mots et de piques… souvent hilarants et/ou fort délectables. Un exemple : sa discussion avec Billy Wilder peu avant la cérémonie des Oscars au cours de laquelle le Maître a rassuré le « petit » réalisateur ibérique sur ses chances de victoire. En effet, alors que le futur vainqueur de la statuette du Meilleur Film Étranger avec Belle Epoque faisait part à Wilder de la victoire pourtant annoncée de Adieu Ma Concubine, ce dernier lui aurait déclaré à propos du film de Kaige : One hour too long…

Trueba a d’ailleurs beaucoup cité, en parallèle de ses nombreuses références européennes, les maitres de la comédie américaine classique : Lubitsch, Sturges, Hawks… Ce qui m’amène à parler rapidement de Sé Infiel y no mires con quién (1985) - dernier Trueba découvert en date – et qui ne fut rien de moins que mon film du mois dernier ! Adaptation d’une pièce britannique qui connut un grand succès en Espagne, cette œuvre de commande permet malgré tout à Trueba de rendre hommage à la comédie de « remariage » à travers une intrigue de vaudeville qui joue habilement sur des ressorts pourtant éprouvés. Soit en l’espèce, un imbroglio professionnel et amoureux qui implique deux couples diamétralement opposés au départ, l’un sage et (trop ?) rangé (Antonio Resines/Ana Belén), l’autre volage et aventurier (Santiago Ramos/Carmen Maura), et qui à la manière d’une cocotte-minute finira par faire tout exploser… Historiquement, le film se démarque par son absence de jugement moral vis-à-vis de l’adultère et par sa dimension "égalitariste" : les femmes y ont tout autant le droit que leurs maris de tromper leur conjoint respectif – situation encore assez rarement évoquée dans un film grand public à l’époque, soit moins de dix ans après la fin de la dictature qui promulguait un modèle familial très traditionnel. Atout de taille : les quelques décors intérieurs filmés dans les Studios Luis Buñuel – amples, magnifiques et joliment investis par la caméra de Trueba, où se déroulent l’essentiel des scènes - feraient presque oublier l’origine théâtrale de l’histoire. Si le duo masculin verse légèrement dans le surjeu caricatural (surtout S. Ramos), l’interprétation féminine illumine le film de bout en bout, entre la volcan Maura et la douce et touchante Ana Belén. Tout comme dans El año de las luces, il s’opère lors du dernier quart d’heure un brutal changement de ton qui m’a cette fois agréablement surpris. A ma connaissance, il n’existe pour l’heure pas d’édition avec sst français.
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Re: Fernando Trueba

Message par Profondo Rosso »

cinéfile a écrit : 22 mars 22, 10:13 Trueba a d’ailleurs beaucoup cité, en parallèle de ses nombreuses références européennes, les maitres de la comédie américaine classique : Lubitsch, Sturges, Hawks…
Ca se ressent carrément dans Belle Epoque et le mood To be or not to be de La Fille de tes rêves et La reine d'Espagne avec rythme enlevé, dialogues qui fusent, actrices piquantes.
cinéfile a écrit : 22 mars 22, 10:13Sé Infiel y no mires con quién (1985) - dernier Trueba découvert en date – et qui ne fut rien de moins que mon film du mois dernier ! Adaptation d’une pièce britannique qui connut un grand succès en Espagne, cette œuvre de commande permet malgré tout à Trueba de rendre hommage à la comédie de « remariage » à travers une intrigue de vaudeville qui joue habilement sur des ressorts pourtant éprouvés. Soit en l’espèce, un imbroglio professionnel et amoureux qui implique deux couples diamétralement opposés au départ, l’un sage et (trop ?) rangé (Antonio Resines/Ana Belén), l’autre volage et aventurier (Santiago Ramos/Carmen Maura), et qui à la manière d’une cocotte-minute finira par faire tout exploser… Historiquement, le film se démarque par son absence de jugement moral vis-à-vis de l’adultère et par sa dimension "égalitariste" : les femmes y ont tout autant le droit que leurs maris de tromper leur conjoint respectif – situation encore assez rarement évoquée dans un film grand public à l’époque, soit moins de dix ans après la fin de la dictature qui promulguait un modèle familial très traditionnel. Atout de taille : les quelques décors intérieurs filmés dans les Studios Luis Buñuel – amples, magnifiques et joliment investis par la caméra de Trueba, où se déroulent l’essentiel des scènes - feraient presque oublier l’origine théâtrale de l’histoire. Si le duo masculin verse légèrement dans le surjeu caricatural (surtout S. Ramos), l’interprétation féminine illumine le film de bout en bout, entre la volcan Maura et la douce et touchante Ana Belén. Tout comme dans El año de las luces, il s’opère lors du dernier quart d’heure un brutal changement de ton qui m’a cette fois agréablement surpris. A ma connaissance, il n’existe pour l’heure pas d’édition avec sst français.
Ca fait envie mais bien sûr pas de sous-titres pour celui-là chez FlixOlé :mrgreen:
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Re: Fernando Trueba

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Profondo Rosso a écrit : 22 mars 22, 14:00
cinéfile a écrit : 22 mars 22, 10:13 Trueba a d’ailleurs beaucoup cité, en parallèle de ses nombreuses références européennes, les maitres de la comédie américaine classique : Lubitsch, Sturges, Hawks…
Ca se ressent carrément dans Belle Epoque et le mood To be or not to be de La Fille de tes rêves et La reine d'Espagne avec rythme enlevé, dialogues qui fusent, actrices piquantes.
Oui, tout à fait ! Ça m'a également sauté aux yeux (et aux oreilles) quand il y en a parlé lors de l'intervention.

Profondo Rosso a écrit : 23 févr. 22, 22:24
manuma a écrit : 23 févr. 22, 22:05 Sinon je pense me situer quelque part entre vous 2, concernant ce Rêve du singe fou, découvert l'an passé. Pas une réussite, mais ça demeure suffisamment étrange, voire improbable (côté distribution notamment) pour susciter la curiosité jusqu'au bout, avec le petit plaisir de retrouver l'univers et les habituelles obsessions de Christopher Frank - il y a aussi un peu de Josepha et Spirale là-dedans par moment. Mais il est certain que l'on a du mal à adhérer vraiment à cette histoire de passion dévorante, à comprendre ce basculement progressif du personnage principal dans la folie paranoïaque.
L'histoire a clairement du potentiel (le roman doit valoir le détour) mais ce n'est pas forcément bien exploité en l'état. Sinon merci pour le topic après le bide Bigas Luna je n'avais pas osé me ré aventurer à en ouvrir un, le segment cinéma espagnol était un bon compromis :mrgreen:
J'ai lu entretemps le roman de C. Frank, et en effet, le roman est tout de même plus clair sur la direction psychologique du personnage principal et les thèmes sous-jacents (et ce n'est pas dû uniquement à la différence de medium), ceux-là même qui avaient intéressés Trueba au départ. Je réévaluerais sûrement le film à la baisse si je le revoyais maintenant je pense, mais ça reste une sacrée curiosité.
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Re: Fernando Trueba

Message par cinéfile »

cinéfile a écrit : 22 mars 22, 10:13 Fernando Trueba était invité au Festival du Cinéma Espagnol de Nantes cette année (encore) - festival qui se clôturait dimanche dernier - et j’ai eu la chance de pouvoir me déplacer quelques jours sur le festival pour assister (entre autres) à la Masterclass qu’il donnait le samedi soir.
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Re: Fernando Trueba

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EL OLVIDO QUE SEREMOS (2020)

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J'ai connu Trueba plus aventureux que sur ce drame familial / historique qui m'a quelque peu évoqué le supérieur Roma de Cuarón. Une jolie chronique certes, parfois touchante, jamais ennuyeuse, mais très classique dans son écriture, manquant notamment d'intensité dans sa partie 80's - on ressent peu la présence d'un danger de mort éminent pour le personnage principal - et ne débouchant sur aucune réflexion forte alors que l'oeuvre aborde des thèmes passionnants, sur l'engagement et les liens familiaux (comme Running on empty d'ailleurs). Un chouia déçu donc...
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Re: Fernando Trueba

Message par Profondo Rosso »

Sé infiel y no mires con quién (1985)

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Chasses-croises et quiproquos pour un couple adultère dont les membres demandent en même temps a un ami commun de leur prêter sa maison...

Quatrième film de Fernando Trueba, Sé infiel y no mires con quién est un très plaisant exercice de style du réalisateur dans le vaudeville et la screwball comedy. La mécanique assez imparable du récit ne doit rien au hasard puisqu'il s'agit d'une adaptation de la pièce Move Over Mrs Markham (plus connue en France sous le titre Tout le plaisir est pour nous quand elle fut adaptée sur scène en 1972 puis en 2009) du dramaturge et maître de la comédie britannique Ray Cooney. La narration et le dispositif du film paie donc largement son tribut à cette origine théâtrale mais dans l'ensemble Fernando Trueba réussit avec brio à s'en affranchir ou d'en user avec inventivité.

Le postulat est simple mais d'une redoutable efficacité. Paco (Santiago Ramos) et Fernando (Antonio Resines) sont ami et associés au sein d'une maison d'édition qui s'apprête à franchir un cap crucial avec la signature d'une célèbre autrice pour enfant, Adela Mora (Chus Lampreave). Paco est un séducteur impénitent bien que marié à Carmen (Carmen Maura) et s'apprête justement à se désister de ce rendez-vous professionnel pour rencontrer une sulfureuse amante dont il ne connaît pas le visage. Fernando s'avère lui bien trop cérébral, terre à terre et timoré, au grand désespoir de sa femme Rosa (Ana Belén). Il se trouve que Carmen et Rosa sont amies et que, à l'instar de son époux, Carmen s'apprête ce même soir à retrouver son jeune et bel amant militaire. Problème, chacun des époux adultère a décidé de retrouver son amant/maîtresse dans la demeure inoccupée de Rosa et Fernando puisque ces derniers seront en entretien avec la fameuse autrice. Toute la première partie du film sert à mettre en parallèle puis entrecroiser le ressenti et les frustrations des couples respectifs. Les confidences et la vantardise des conversations entre hommes/femmes font ainsi l'objet d'un montage alterné qui sert à caractériser chacun et faire monter l'attente quand on devine progressivement que les deux situations adultères vont forcément s'entrechoquer. Fernando Trueba excelle à façonner un écho de dialogues, situations par une belle science du montage, du raccord en mouvement qui rend ce va et vient limpide et inventif. Il faut cependant être très attentif au cumul d'informations véhiculés par les longues discussions car absolument toutes serviront l'ampleur du quiproquo dans la seconde partie (Paco ne connaissant pas physiquement son amante d'un soir, Carmen se faisant passer par jeu pour une prostituée auprès de son amant, la supposée bigoterie de l'autrice visée...).

L'amoralité du couple Paco/Carmen déteint progressivement chez Fernando/Rosa et façonne des dynamiques comiques irrésistibles. Carmen en racontant ses aventures à Rosa titille la libido en berne de celle-ci, qui va se montrer plus entreprenante avec Fernando. Ce dernier ayant malencontreusement trouvé une lettre torride adressée à Carmen soupçonne sa femme de le tromper, et toute l'attitude émoustillée de Rosa correspond aux indices que lui donne Paco quant au comportement d'une femme infidèle. Il y a une sorte de ping-pong dramaturgique qui s'articule de manière redoutablement efficace où Trueba se sert même d'éléments éculés sans doute vieillot du vaudeville pour les retourner à son avantage. On pense au soupçon d'homosexualité du chef décorateur et ami de Rosa, Oscar (Guillermo Montesinos) qui lui-même va soupçonner Paco et Fernando tout à leurs conciliabules de l'être également. Trueba use brillamment de son double décor où le bureau de la maison d'édition donne directement via un passage secret à l'appartement. Les quiproquos ne se déploient pas par le seul dialogue mais aussi par le décor et la mise en scène, un simple cadrage, une profondeur de champ sur des pièces dédoublées et un jeu sur le point de vue pouvant donner en un seul plan presque deux ou trois quiproquos différents. L'esthétique art déco ligne claire très typée années 80 possède un charme fou, Trueba alternant surcharge de mauvais goût (la garçonnière pleine de chausse-trape de Paco) et épure rétro, traduisant aussi par l'environnement les tempéraments différents de chacun.

La montée en puissance est irrésistible mais étrangement, au moment de l'apothéose qui devrait nous amener au feu d'artifice attendu, Trueba la joue petit bras. Des ellipses frustrantes et pour le coup des effets de théâtre malvenus (le sommet d'une situation de quiproquo seulement entendue et filmée derrière une porte, pourquoi ?), ainsi qu'un retour forcé aux bons sentiments amène une morale absente jusque-là. Le couple Fernando/Rosa est certes attachant mais on pouvait espérer plus d'inventivité pour amener leur réconciliation. On se met alors à imaginer ce que le Pedro Almodovar de Kika (1993) aurait fait de pareille amorce, la belle anarchie qu'il aurait laissée s'exprimer. En parlant de Kika on retrouve d'ailleurs ici la regrettée Verónica Forqué, géniale en secrétaire sexy et folle d'amour. Tour à tour génial et frustrant, Sé infiel y no mires con quién est néanmoins un opus plaisant et annonciateur des réussites de Manolo (1986) Belle Epoque (1992) ou La Fille de tes rêves (1998) où il se lâchera bien plus (il est peut-être corseté ici par le matériau original) dans une latinité comique et un érotisme plus prononcé. 4,5/6
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