Le monde d’Apu (Satyajit Ray, 1959)
Dernier chapitre de la trilogie d’Apu, le plus beau, accompli, émouvant. Ray approfondit sa vision fataliste et lucide d’un monde dont il chercherait à résoudre les conflits à la faveur d’une sereine contemplation. Les situations y vibrent d’un humour discret, d’une sensibilité délicate, d’une limpidité absolue dans tous les registres : évidence complice de l’amitié avec Pulu, tendresse de l’amour naissant avec la jeune épouse, nouvelle terrible d’une mort en couches qui laisse le héros anéanti. Mais c’est vers la lumière et l’apaisement que tend son apprentissage, car après avoir arpenté le pays, jeté son manuscrit au vent pour se délivrer de la douleur, Apu accepte les coups du destin et embrasse ses responsabilités de père. A la fin, il part souriant, en harmonie tant avec lui-même qu’avec la nature, son petit garçon de cinq ans juché sur les épaules, et c’est bouleversant.
5/6
Frances Ha (Noah Baumbach, 2012)
On pourrait craindre les afféteries d’un irritant
mumblecore saturée de poses
arty. On aurait tort, parce que Baumbach décrit son milieu avec une ironie chargée d’autodérision, et parce que le montage
staccato, les traits d’esprit pétillants, le charme particulier de Greta Gerwig fournissent une ravissante fraîcheur à cette chronique d’une amitié quasi conjugale, où il est question de trouver sa place, son équilibre et son bonheur. Par sa multitude de petites bulles conviviales, ses personnages paumés ou bienveillants, tous attachants, son inclination au lien et à l’échange, sa curiosité de la rencontre, la comédie s’offre même comme un radieux traité de philanthropie, qui marie la drôlerie la plus vive et la sincérité la plus vraie. On en émerge sur un petit nuage.
5/6
Prima della rivoluzione (Bernardo Bertolucci, 1964)
Le deuxième film de Bertolucci est comme la confession d’un enfant du siècle, le point de rencontre, encombré de rhétorique et d’influences disparates, d’une recherche de spontanéité héritée de la Nouvelle Vague et d’envolées opératiques à la Verdi, le mariage des digressions politiques et de l’effervescence romantique. Il illustre le dilemme d’un jeune bourgeois parmesan à la fois communiste et pétri de culture, révolutionnaire et conservateur. La mise en scène sophistiquée fait un usage étonnant de la lumière, recourt aux références et aux citations, mais on est en droit de trouver assez gonflantes toutes ces affectations précieuses autour de l’ambiguïté et de l’indécision intellectuelles du sortir adolescent.
4/6
Gloria (John Cassavetes, 1980)
Le cinéaste prouve à nouveau que la greffe du polar avec son univers prend bien. Cette odyssée du bitume, cernée par des bas-fonds urbains et diurnes, des immeubles en coupe-gorge, des bouches de métro menaçantes, inverse les rôles traditionnels en démasquant ironiquement les outrances masculines du genre. A travers la rencontre d’une ex-maîtresse de parrain new-yorkais, qui n’a pas peur de jouer de la gâchette, et d’un orphelin portoricain traqué par la Mafia, il s’intéresse aux limites d’un désir ne pouvant s’accomplir que dans l’imaginaire, et se place du côté de ces rêveurs qui ne triomphent pas du système mais se mêlent de le défier en goûtant à l’ivresse de l’illusion. Les gangsters n’ont qu’à bien se tenir, ils ont une femme à leurs trousses : pas de doute, on est bien chez Cassavetes.
4/6
Le sang d’un poète (Jean Cocteau, 1930)
A l’heure où, grâce à un mécène commun, Luis Buñuel conçoit
L’Âge d’or (très supérieur), Cocteau élabore une première mise en forme cinématographique de son imaginaire. Le parallèle avec le surréalisme de l’auteur mexicain s’arrête là car cet essai expérimental bâtit sa poésie de façon cartésienne, concrète, raisonneuse, fuyant la dictée de l’inconscient et l’écriture automatique pour mieux favoriser le rêve dirigé, à la machinerie et aux ressorts mis à nu. Ne reste aujourd’hui qu’un bric-à-brac terriblement dépassé, dont le schématisme illustratif d’un champ thématique qui brasse le narcissisme, la quête d’identité ou les mystères d’Éleusis bride le déploiement des effets. C’est peu dire que jamais je ne me suis senti impliqué devant cette vieillerie rassise.
2/6
Le roman de Marguerite Gautier (George Cukor, 1936)
Avec
La Dame aux Camélias, pas besoin de forcer la note du mélo pour faire pleurer dans les chaumières : le sacrifice de cette lorette faussement frivole, vouée à son amant jusque sur son lit de mort, est suffisamment poignant en lui-même pour remplir la coupe du romantisme lacrymal. Mais si le film est un modèle d’adaptation, c’est parce qu’il réunit principalement deux qualités. D’une, le luxe discret d’une mise en scène taillant l’ellipse et la retenue dans le velours – tuberculose étouffée au mouchoir, cruauté feutrée sous les candélabres. De deux, une actrice capable de sortir le grand jeu sans accentuer le pathétique : dans sa façon de croquer une dragée, de rire sans un bruit, de murmurer ses ultimes requêtes tandis que la maladie l’emporte, Greta Garbo, absolument magistrale, est celle-ci.
5/6
La charge de la brigade légère (Michael Curtiz, 1936)
On efface la réalité des faits et on prend les plus larges libertés avec l’histoire, jusqu’à transformer le célèbre (et désastreux) épisode de la guerre de Crimée en acte héroïque se vengeant des sanguinaires exactions sultanistes. Ne pas tiquer, Curtiz emballe ce virevoltant film d’aventures sabre au clair, en fait un hymne à la bravoure militaire, voire à l’insubordination justifiée. Le quadrillage limpide de l’espace (d’un fort à l’autre, dans un sens, puis dans l’autre), le tempo impeccable d’un récit mené tambour battant, l’harmonieux enchevêtrement des hauts faits, des intrigues diplomatiques et des contrariétés sentimentales assurent un spectacle de haute tenue, culminant dans un final épique qui enfonce méchamment les standards de l’époque.
4/6
L'aigle vole au soleil (John Ford, 1957)
Le sujet pourrait faire redouter un couplet ronflant à la gloire de l’aéronavale américaine. Que nenni. Ford fuit les trompettes, choisit une expression dédramatisée, dilate les moments en creux qu’il emplit d’une chaleureuse tendresse. Les bagarres drolatiques entre frères ennemis de la marine et de l’armée de l’air, l’obstination de l’inénarrable Carson à faire remarcher le Duke paralysé (deux armes : le mantra "
I’m gonna move that toe" et l’invraisemblable attirail alcoolisé planqué derrière la commode), la main posée par Maureen O’Hara sur la nuque de son époux, après que les années lui aient imprimé une mèche blanche dans les cheveux… tout illustre la solidité des liens affectifs, leur subsistance à l’épreuve des coups du destin. Film superbe et injustement méconnu.
5/6
Tendres passions (James L. Brooks, 1983)
Lorsqu’on le découvre trente ans après ses Oscars, ce soap opera texan à la réputation de gros pudding lacrymal apparaît pour ce qu’il est vraiment : un idéal de mélodrame sirkien, l’exploration subtile d’une orageuse relation mère/fille, de ses non-dits, de sa complicité exclusive, de ses blessures irrésolues. Brooks accorde une attention bienveillante à chaque personnage, jongle avec les registres, ose une narration elliptique filant sur tous les événements de la vie : l’annonce d’une grossesse, la naissance puis une autre, la romance vacharde et pétillante entre l’hédoniste compulsif et la bourgeoise déterminée, les recommandations ultimes de la jeune malade à ses fils, légués comme des cadeaux précieux, et les premiers pas d’une petite fille dans le jardin, qui font rimer la douleur d’une disparition avec la joie d’un recommencement.
5/6
3h10 pour Yuma (Delmer Daves, 1957)
A la manière du
Train sifflera trois fois, sorti cinq ans plus tôt et auquel on pense beaucoup, Daves articule un suspense en temps réel autour d’un débat moral et enclenche une série de confrontations qui tirent leur force des évolutions de chacun. Le film appartient à la veine des surwesterns qui ont fleuri dans les années 50, attachés à épurer les situations et les personnages jusqu’à leur dimension la plus élémentaire, mais il s’en démarque par la conviction d’un propos résolument lumineux, fondé sur la compréhension mutuelle, le glissement progressif de l’intérêt personnel vers l’élan solidaire, et la prise de conscience, entre le fermier et le bandit, d’une estime réciproque. Si elle tranche avec les canons du genre, la résolution finale atteste à cet égard pleinement de la personnalité de son auteur.
4/6
Le lys brisé (David W. Griffith, 1919)
Délaissant l’ampleur et la démesure de la fresque au profit d’une respiration intimiste, Griffith poursuit l’exorcisme de l’accusation de racisme porté (à juste titre) contre sa
Naissance d’une Nation et narre la naissance, dans les bas-quartiers londoniens, d’un amour délicat entre une jeune fille effarouchée et un Chinois immigré à la sagesse humaniste. Il subsiste sans doute quelque chose de ces bribes de naïveté, de cette opposition binaire entre sensibilité célébrée et rugosité aveugle, de l’expressivité nouvelle et nuancée de Lilian Gish, mais la pudeur du film se confond à mes yeux avec la tiédeur, et le simplisme de l’intrigue empêche, par l’effacement de l’audace formelle, toute implication émotionnelle de ma part.
3/6
Les enfants terribles (Jean-Pierre Melville, 1950)
Cocteau a lui-même confié l’adaptation de son célèbre roman au jeune Melville qu’il admirait. Si l’on parvient à dompter la stylisation littéraire des mots, de leur récitation, de leur musicalité, alors une fascination vénéneuse opère et s’accroît jusqu’à l’ultime image. Il y a quelque chose d’incantatoire dans cette prose argotique, dans les joutes taquines, enveloppée d’une affection étouffante, que s’échangent ces deux ados blonds comme des anges, dans ces images à la lisière du fantastique et à l’irréalité féérique, dans ces palais de souvenirs et de reliques hantées par une figure machiavélique dont le visage ne se dévoilera qu’à la fin – celui d’un amour fraternel, maléfique, et d’une enfance consumée jusqu’à la folie par une passion exclusive.
5/6
La baie des anges (Jacques Demy, 1963)
En suivant avec une neutralité presque bressonnienne l’inéluctable spirale d’un couple consumé par l’enfer du jeu, Demy dit avoir voulu analyser le vice chez deux êtres passionnés. La roulette du hasard qui gouvernait aux rencontres de
Lola manifeste dès lors une logique destructrice où l’homme et la femme s’efforcent de sauver leur libre arbitre. On peut s’interroger sur la cohérence de la pirouette finale, qui accorde une valeur un peu forcée aux vertus salvatrices de l’amour, mais la rigueur sèche de son déroulé tragique, l’épure paradoxalement habitée d’une mise en scène figurant le visage de l’obsession, de la dépendance, et de la honte dissimulée ou refoulée qu’elle suscite chez ceux qui en souffrent, font tout le prix de cette fable moraliste.
4/6
Liebelei (Max Ophüls, 1933)
Dans l’exercice subtil visant à glisser insensiblement de la légèreté à la désillusion tragique, Ophüls est un maître-queux, et ce film-clé, tout à fait représentatif de sa méthode et de son univers, l’une de ses réussites les plus achevées. La pimpante fraîcheur présidant aux stratagèmes de séduction de deux dragons de l’armée autrichienne se voile ainsi de gravité, les conventions compassées d’une société inégalitaire sont auscultées par une caméra d’une souple et sinueuse élégance, avant que le poids d’un passé non soldé ne frappe comme un coup du destin. Ce qui se joue à la fin sur le visage de Magda Schneider, dans le plan poignant qui saisit sa compréhension du drame, consacre à cet égard l’entière finesse du long-métrage.
5/6
Chasse à l’homme (Fritz Lang, 1941)
Avec un mépris souverain de la vraisemblance, Lang se régale d’un récit à rebondissements multiples et chevauche la logique chaotique d’une histoire d’espionnage, de fuite et de poursuite où s’accumulent les périls et les embûches, où valsent agents sadiques et perfides au service de l’Axe et complices aussi humbles que précieux (le gamin matelot, la prostituée cockney). Mené à toute berzingue, le thriller organise des oppositions franches et nettes entre les positions morales, prend clairement parti contre la politique hitlérienne, enrichit son savoureux suspense d’une interrogation sur les valeurs du choix, de l’intégrité et de l’engagement à l’aune des heures graves et troublées. Captivant.
4/6
L’esprit de Caïn (Brian De Palma, 1992)
On peut estimer que le film cumule les handicaps, illustre à gros coups de pinceau explicatifs, verbeux et grand-guignolesques les manifestations d’un cas de psychose qui a tout du fantasme délirant de
thriller freak. On peut se réjouir de ces excès assumés, de ces envolées baroques réglées comme des coups de rasoir, de la connivence tacite avec le spectateur quant à la distanciation ludique de ce qui est donné à voir. On peut enfin garder un pied dans chacune de ces deux hypothèses, et considérer cette série B barbouillée d’ironie et de grotesque comme l’un de ces mises au point auto-citatives auxquelles De Palma se livre régulièrement, avec la sagacité d’un auteur conscient d’être bien plus intelligent que son sujet.
4/6
Sabrina (Billy Wilder, 1954)
La haute société new-yorkaise, deux frères richissimes qui n’ont d’yeux qui pour le profit, qui pour les pouliches de luxe, et la fille du chauffeur amoureuse de l’un comme le ver est épris de la lune. L’intention est claire : démarquer le conte de fées. La méthode savoureuse : brocarder l’obsession matérialiste et consumériste de cette société du capital en assimilant l’idée fixe de l’héroïne à une forme perverse d’arrivisme. Wilder orchestre finement une comédie à la Cukor où tout le monde est dupe de ses propres mensonges, compromis et manipulations, mais il sait ménager également à ses héros les plus volontaires un bonheur sans absolu, et la prise de conscience de leurs rêveuses désillusions. Inutile de préciser qu’à ce petit jeu, le trio de stars fait des étincelles.
4/6
La ligne générale (Sergueï M. Eisenstein, 1929)
Écrit comme un instrument de propagande à la faveur de la ligne générale adoptée par le Congrès du parti, cette ode à la collectivisation des terres et à la mécanisation des moyens de production permet à Eisenstein de poursuivre la construction de ses propres idéogrammes, gagnés ici par une énergie sexuelle, délirante, bouffonne et extatique à la fois. L’inertie bureaucratique est tournée en ridicule par les ardeurs de la coopérative, les moutons salivent hagards devant les gesticulations impuissantes des popes, tandis que les jets éjaculatoires de l’écrémeuse font jaillir des torrents de vie multipliant fleurs et poussins, cochonnets et veaux, en autant de louanges païennes à la fécondité et aux noces glorieuses de la ville et de la campagne, de l’homme et de la machine.
4/6
L’humanité (Bruno Dumont, 1999)
Dumont poursuit sa démarche, renforce l’âpreté de ses partis pris, marie le physique et le spirituel dans une recherche sincère mais exigeante gommant toute formulation du beau – qui est sans doute, selon lui, l’ennemi du vrai. Il filme en cinémascope des paysages désolés, des corps embarrassés, un quotidien gluant d’ennui et, dans le même temps, une hypothèse parfaitement stylisée de ce quotidien. Lent, inconfortable, imparfait mais travaillé par des forces brutales, le film est à l’image de son protagoniste, idiot silencieux en quête de grâce, qui semble vouloir expier toute la culpabilité du monde : son humanité douloureuse pourrait toucher, mais l’opacité rebutante de son expression nous la rend bien trop étrangère.
3/6
Le voleur de Bagdad (Ludwig Berger, Michael Powell & Tim Whelan, 1940)
Pas moins de six réalisateurs ont travaillé sur cette féérie arabisante en Technicolor, dont les délires graphiques et les fantaisies colorées incitent aujourd’hui à la bienveillance attendrie. Des palais de marbre rose bonbon aux incrustations bricolées, des élans de romantisme enfantin aux guirlandes d’aventures invraisemblables, empilées avec un mépris royal de la rigueur dramatique, tout respire l’artifice kitsch et le plaisir candide du merveilleux. Bien que très désuètes (c’est un euphémisme), la richesse esthétique et la fraîche naïveté de l’aventure confèrent à l’ensemble un certain charme, celui-là même qui préside à la remémoration souriante des contes de notre enfance.
4/6
Nous avons gagné ce soir (Robert Wise, 1949)
Le film noir américain entretient un rapport étroit avec le réalisme social. Un peu à la manière de Huston et de son Asphalt Jungle sorti un an plus tard, Robert Wise réfute les enluminures du genre et favorise la dimension humaine d’une histoire simple et cruelle dont le cadre a valeur de document. Il décrit le monde de la nuit et des perdants en quête d’honneur, revigorés par un sursaut de dignité payé au prix cher, et l’envers d’une société du spectacle qui truque les matchs, invite le public à se repaître de la douleur fatiguée des boxeurs envoyés sur le ring comme à l’abattoir. Le tout emballé et pesé en soixante-douze minutes justes, sèches et concises de temps réel, qui du wellesien plan-séquence d’ouverture au travelling final imposent un brio technique sans apprêt.
4/6
L’oiseau au plumage de cristal (Dario Argento, 1970)
Avec l’application un tantinet appuyée d’un premier de la classe, Dario Argento concilie les composantes les plus fétichistes du cinéma hitchcockien et brode un thriller chic et manipulateur, formellement très chiadé, que n’aurait pas renié le Brian De Palma des débuts (jusque dans l’importance cruciale accordée au détail vu, sans cesse remémoré, mais mal compris). Il y a sans doute assez peu à réfléchir ici, mais tout à voir et à éprouver, y compris dans les motifs les plus éculés – assassin aux gants noirs découpant les photos de ses futures victimes, visions subjectives alternées, faux coupable devenu enquêteur perspicace, meurtres sanglants et décharges d’adrénaline dispensés comme des coups de griffe sadiques au spectateur.
4/6
Cœurs brûlés (Josef von Sternberg, 1930)
Premier film hollywoodien pour Dietrich, et suite logique de la thématique précédente. Le cinéaste transfigure les stéréotypes du roman de gare et redéfinit en rêveries et en artifices toutes les conventions du Maroc colonial. Il poursuit la mythification de son actrice, authentique Circé des brasseries, chanteuse déguisée en homme posant un baiser sur la bouche d’une spectatrice, lançant une fleur au beau légionnaire assis dans l'auditoire, acceptant les avances d’un riche soupirant à la dévotion chevaleresque avant de s’abandonner à la vérité de ses sentiments et de rejoindre pieds nus, dans les dunes brûlantes et le sirocco sifflant, la cohorte des femmes fidèles à leur amour. C’est par ces images fortes que le film dépasse la relative minceur de ses enjeux.
4/6
La femme au corbeau (Frank Borzage, 1929)
Les ruelles étroites, l’atmosphère grouillante et enfumée, la profusion de l’activité urbaine ont disparu : s’imposent à l’écran la sérénité radieuse d’une bicoque en bois, d’une péniche posée sur les flots tour à tour calmes et impétueux de la rivière, et l’ordre des saisons qui s’écoulent lentement. A nouveau, Borzage raconte la naissance frémissante du sentiment entre un homme et une femme, réveille le secret perdu et la naïve fraîcheur d’une affinité réciproque, mais c’est aux sources de la nature qu’il puise les images de cette pastorale de l’amour triomphant. Même à moitié disparue, rafistolée à coup de photographies et de cartons descriptifs, l’œuvre touche par son équilibre délicat et l’intensité érotique de situations laissant parler corps et attitudes.
4/6
La symphonie nuptiale (Erich von Stroheim, 1928)
Le film met un moment à démarrer mais possède une précieuse qualité : la montée en puissance. Surtout, il élargit l’ironie rageuse de son auteur à la peinture sincère des sentiments. L’amour entre le fils princier, coureur de jupons tendrement épris, et la fille pauvre et pure, Iphigénie gagnée par le désordre et l’épouvante à laquelle Faye Wray prête sa beauté éclair, fait éclore une délicatesse irréelle à la Borzage. Mais bientôt les fleurs de pommiers, témoins de leurs étreintes, se brisent sur la pourriture du monde et les impossibles rapports de classe, leur idylle se recouvre de touches cruelles, obscènes, et glisse jusqu’à une conclusion tragique, recouverte d’une pluie aussi épaisse que le désespoir, où la symphonie nuptiale résonne d’accents funèbres.
4/6
L'inconnu (Tod Browning, 1927)
On pourrait dire de Tod Browning qu’il est touché par la grâce de l’étrange. Le milieu des baraques foraines, les extravagances du cirque, l’incongruité des caractères et des situations constituent l’assise d’une réflexion ironique mais grave sur la relativité de la morale, de la normalité et du bon sens. Le cinéaste puise dans les coups cruels du destin la force d’un film d’épouvante à la sourde poésie, où quelques murs suffisent à prendre le personnage au piège de la fatalité, où la difformité physique n’est qu’une apparence, où les impulsions violentes de l’amour se manifestent comme envers des instincts criminels. Dans cet univers de faux-semblants et de chausse-trappes, Lon Chaney compose une mémorable figure d’assassin passionnel, aussi pathétique qu’inquiétant.
5/6
Et aussi :
Le congrès (Ari Folman, 2013) -
4/6
Hijacking (Tobias Lindholm, 2012) -
4/6
Monstres academy (Dan Scanlon, 2013) -
4/6
Films des mois précédents :
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- Juin 2013 - Choses secrètes (Jean-Claude Brisseau, 2002)
Mai 2013 - Mud (Jeff Nichols, 2012)
Avril 2013 - Les espions (Fritz Lang, 1928)
Mars 2013 - Chronique d'un été (Jean Rouch & Edgar Morin, 1961)
Février 2013 - Le salon de musique (Satyajit Ray, 1958)
Janvier 2013 - L'heure suprême (Frank Borzage, 1927) Top 100
Décembre 2012 - Tabou (Miguel Gomes, 2012)
Novembre 2012 - Mark Dixon, détective (Otto Preminger, 1950)
Octobre 2012 - Point limite (Sidney Lumet, 1964)
Septembre 2012 - Scènes de la vie conjugale (Ingmar Bergman, 1973)
Août 2012 - Barberousse (Akira Kurosawa, 1965) Top 100
Juillet 2012 - Que le spectacle commence ! (Bob Fosse, 1979)
Juin 2012 - Pique-nique à Hanging Rock (Peter Weir, 1975)
Mai 2012 - Moonrise kingdom (Wes Anderson, 2012)
Avril 2012 - Seuls les anges ont des ailes (Howard Hawks, 1939) Top 100
Mars 2012 - L'intendant Sansho (Kenji Mizoguchi, 1954)
Février 2012 - L'ombre d'un doute (Alfred Hitchcock, 1943)
Janvier 2012 - Brève rencontre (David Lean, 1945)
Décembre 2011 - Je t'aime, je t'aime (Alain Resnais, 1968)
Novembre 2011 - L'homme à la caméra (Dziga Vertov, 1929) Top 100 & L'incompris (Luigi Comencini, 1966) Top 100
Octobre 2011 - Georgia (Arthur Penn, 1981)
Septembre 2011 - Voyage à Tokyo (Yasujiro Ozu, 1953)
Août 2011 - Super 8 (J.J. Abrams, 2011)
Juillet 2011 - L'ami de mon amie (Éric Rohmer, 1987)
Juin 2011 - Ten (Abbas Kiarostami, 2002)