Octobre 2019
Un éléphant ça trompe énormément (Yves Robert, 1976)
Étienne, Simon, Bouly et les autres… Le concours de Jean-Loup Dabadie en atteste : cet énorme succès des années 70 emprunte à Sautet, sur un mode plus vaudevillesque, plus léger, sans doute plus consensuel. Mais il se met aussi à l’heure italienne pour conter l’histoire de quatre amis unis pour le meilleur et pour le pire, l’un comme l’autre étant les femmes qui passent, qui s’installent, qui restent ou qui les quittent et dont ils parlent en riant ou en pleurant. La qualité de l’écriture, polissant, resserrant et insérant chaque épisode dans un ensemble boulonné au plus près, et le brio des comédiens, à travers lesquels passe toute la fantaisie d’un propos aussi vif et pétillant que dénué de vulgarité, participent d’une alchimie qui, dans ses meilleurs moments, transforme en lumière les ingrédients de l’anecdote. 4/6
The neon demon (Nicolas Winding Refn, 2016)
Le néant absolu érigé en système, le stade terminal d’un maniérisme consacrant la dévoration de l’image publicitaire par elle-même. Persuadé de son génie, Refn inflige une litanie de plans boursouflés et clinquants qui ne transmet rien d’autre que l’ivresse de sa propre maîtrise (pour lui) et l’ennui le plus mortel (pour nous). Ce qu’il conçoit comme une esthétique n’est qu’un glacis saturé de vulgarité et de laideur, ce qu’il imagine comme le top de la subversion qu’un lamentable inventaire de provocations puériles. Et ce circuit fermé de surfaces sans fond, ce navrant océan de bêtise et de mauvais goût de souligner à chaque instant le gap vertigineux qui se creuse entre son inanité et l’arrogance qui le motive. Par ailleurs il eût mieux fallu, pour incarner un parangon de beauté, qu’un anchois aux yeux de merlan frit. 1/6 (en étant gentil)
Jésus de Montréal (Denys Arcand, 1989)
Scorsese avait montré que le Christ était aussi un homme. L’année suivante, Arcand répond qu’un homme peut aussi être un Christ. Laissant percer comme à regret sa tendresse avant de la noyer sous des flots de vitriol, il pourfend les fausses extases du moment et les hyperboles du langage, multiplie les distances, les trompe-l’œil, les renversements dramatiques, les glissements de centres d’intérêt, comme pour ne pas se laisser enfermer dans un registre susceptible d’émousser sa verve satirique et son sens de la dérision. Avec un ton pamphlétaire qui fait mouche, une ironie qui sait laisser la porte ouverte à l’émotion, il développe une critique acerbe et mordante du règne publicitaire, des médias, du snobisme, du talent gâché, d’une société résignée qui a renoncé à ses idéaux comme à toute valeur spirituelle. 5/6
Chambre 212 (Christophe Honoré, 2019)
S’il fallait définir la tonalité de ce chassé-croisé amoureux tendre et ludique, grave mais enjoué, on pourrait en parler comme d’une comédie caustique de Bertrand Blier revisitée par les dispositifs scéniques et les jeux de lumière colorée des derniers films de Resnais. Honoré y cultive sans ambages une fantaisie des plus charmeuses, ne cherche jamais à en esquiver la nature artificielle pour mieux fonder sur elle la matière vive d’un examen de conscience qui fuit tout naturalisme pour céder en permanence à la théâtralité du fantasme. Auscultant avec une allègre légèreté la pérennité du mariage, l’usure des sentiments, les tours parfois trompeurs du souvenir et les appétits renouvelés de la maturité, il cisèle ainsi un divertimento pétillant de malice et de fraîcheur, servi par un quatuor d’acteurs à son image. 5/6
Homicide (David Mamet, 1991)
Le cinéaste navigue ici en eaux troubles : celles de la paranoïa des ethnies, de cette peur du complot qui obsède et parfois panique les membres d’une minorité. Si l’ossature narrative et les motifs relèvent du polar (fusillades, couloirs de commissariat, seconds couteaux), l’enquête dérive vers un propos plus ambigu qui éreinte le mythe du melting pot : que signifient ces replis identitaires, ces conflits interraciaux, ces menaces pesant sur une société multiculturelle ? Comme son héros, Mamet ne se retrouve pas plus dans la crispation d’une communauté juive se renfermant sur elle-même que dans les déviations fascisantes de l’Amérique. Il fait ainsi la preuve que l’avenir est aux familles ouvertes, composites, choisies librement, et non à celles autoritaires que l’on intègre en sacrifiant une part de soi-même. 4/6
La compagnie des loups (Neil Jordan, 1984)
Il était une fois une jeune fille qui s’était aménagée une pièce close, secrète, pleine de peluches et de confidents imaginaires. Sa grande sœur s’appelait Alice, mais c’est elle qui pénétrait dans une forêt enchantée peuplée de loups, de voyageurs mystérieux et d’animaux mythiques, où les désirs prenaient une coloration plus vive et plus sensuelle. Empruntant au décor, à l’atmosphère, à l’univers des contes de fées, Jordan inverse la fonction répressive de leurs archétypes pour métaphoriser les fantasmes et la sexualité en éveil d’une adolescente. Tel un Petit Chaperon Rouge revu par Bruno Bettelheim, le film puise son irrésistible pouvoir d’attraction dans le charme ambigu des frissons de l’enfance, que cultivent un climat onirique et des décors baroques oscillant entre Gustave Doré et Jean Cocteau. 5/6
Le désert des tartares (Valerio Zurlini, 1976)
Adapter le roman de Buzzati relevait de la gageure. Comment rendre par l’image la respiration d’une œuvre récusant les schémas traditionnels du récit dramatique et l’abstraite sécheresse des traités symboliques et métaphysiques ? Comment faire ressentir l’asphyxie volontaire d’un homme vaincu par son mirage, frustré de la tangibilité de son désir et conscient de l’inanité de tout sursaut devant la sombre fatalité ? Zurlini a su trouver des réponses convaincantes. Le Fort Bastiano est un lieu hors du temps, un enclos prisonnier de ses rites et de ses servitudes absurdes, voué à ses légendes. Et en même temps que l’enlisement, l’illusion fait son nid dans les replis du désert caillouteux. Un film rigoureux, exigeant, qui puise dans l’attente, le creux et le vide un climat envoûtant de réalisme fantasmatique. 4/6
Sorry we missed you (Ken Loach, 2019)
Loach n’en finit pas de mesurer l’onde de choc du big bang libéral, d’inventorier les effets destructeurs des nouvelles formes de l’exploitation économique sur les corps, les esprits et la famille. Après l’érosion puis la dissolution de la solidarité ouvrière, l’atomisation de la vie sociale, la substitution des illusions consuméristes aux utopies collectives, il prend acte de la dernière étape du processus, l’ubérisation du travail, et en examine les principes, les rouages et les conséquences. Nulle volonté de préserver une issue qui adoucirait la violence de la spirale, mais un instinct inentamé pour transcrire le quotidien des personnages, une vérité du regard, du mot, du geste, une proximité émotionnelle après lesquelles tant d’autres courent laborieusement et qui, chez lui, coulent de source et serrent le cœur. 4/6
Hors normes (Éric Toledano & Olivier Nakache, 2019)
L’application de la formule toledanakachienne, désormais des plus identifiables, a ici pour mérite de gripper volontairement son propre logiciel d’optimisme fédérateur et de se ménager quelques entrées plutôt inattendues. Car si les lieux communs abondent, tissant un scénario cousu de fil blanc (le jeune des banlieues qui s’ouvre au contact du handicap) ou recourant à des conventions archicuites (l’apparition des "personnages réels" au générique final), il faut reconnaître à cet éloge de l’engagement, de la solidarité et de l’activisme humanitaire qu’il équilibre avec justesse humour et gravité, tendresse et lucidité, et qu’il ne cède ni à la facilité du gag trop payant ni à l’alibi parasitaire du sentimentalisme. Il y a gagne ainsi une efficacité dramaturgique accentuant la force de conviction de son propos. 4/6
Et aussi :
Alice et le maire (Nicolas Pariser, 2019) -
4/6
Ne croyez surtout pas que je hurle (Frank Beauvais, 2019) -
4/6
Bacurau (Kleber Mendonça Filho & Juliano Dornelles, 2019) -
5/6
Joker (Todd Phillips, 2019) -
5/6
Les aventuriers (Robert Enrico, 1967) -
4/6
Samson et Dalila (Cecil B. DeMille, 1949) -
3/6
Zoolander (Ben Stiller, 2001) -
4/6
Martin Eden (Pietro Marcello, 2019) -
4/6
Trust me (Hal Hartley, 1990) -
4/6
Padre padrone (Paolo & Vittorio Taviani, 1977) -
3/6
Films des mois précédents :
- Spoiler (cliquez pour afficher)
- Septembre 2019 – Driver (Walter Hill, 1978)
Août 2019 – Le coup de l’escalier (Robert Wise, 1959)
Juillet 2019 - La sorcellerie à travers les âges (Benjamin Christensen, 1922)
Juin 2019 – Parasite (Bong Joon-ho, 2019)
Mai 2019 - Mandingo (Richard Fleischer, 1975)
Avril 2019 - Les oiseaux de passage (Cristina Gallego & Ciro Guerra, 2018)
Mars 2019 - Le convoi (Sam Peckinpah, 1978)
Février 2019 – Les noces rouges (Claude Chabrol, 1973)
Janvier 2019 – Un jour dans la vie de Billy Lynn (Ang Lee, 2016)
Décembre 2018 – Une affaire de famille (Hirokazu Kore-eda, 2018)
Novembre 2018 – High life (Claire Denis, 2018)
Octobre 2018 – Nos batailles (Guillaume Senez, 2018)
Septembre 2018 – Les frères Sisters (Jacques Audiard, 2018)
Août 2018 – Silent voice (Naoko Yamada, 2016)
Juillet 2018 - L'homme qui voulait savoir (George Sluizer, 1988)
Juin 2018 – Sans un bruit (John Krasinski, 2018)
Mai 2018 – Riches et célèbres (George Cukor, 1981)
Avril 2018 – Séduite et abandonnée (Pietro Germi, 1964)
Mars 2018 – Mektoub my love : canto uno (Abdellatif Kechiche, 2017)
Février 2018 – Phantom thread (Paul Thomas Anderson, 2017)
Janvier 2018 – Pentagon papers (Steven Spielberg, 2017)
Décembre 2017 – Lettre de Sibérie (Chris Marker, 1958)
Novembre 2017 – L’argent de la vieille (Luigi Comencini, 1972)
Octobre 2017 – Une vie difficile (Dino Risi, 1961)
Septembre 2017 – Casanova, un adolescent à Venise (Luigi Comencini, 1969)
Août 2017 – La bonne année (Claude Lelouch, 1973)
Juillet 2017 - La fille à la valise (Valerio Zurlini, 1961)
Juin 2017 – Désirs humains (Fritz Lang, 1954)
Mai 2017 – Les cloches de Sainte-Marie (Leo McCarey, 1945)
Avril 2017 – Maria’s lovers (Andreï Kontchalovski, 1984)
Mars 2017 – À la recherche de Mr Goodbar (Richard Brooks, 1977)
Février 2017 – Raphaël ou le débauché (Michel Deville, 1971)
Janvier 2017 – La la land (Damien Chazelle, 2016)
Décembre 2016 – Alice (Jan Švankmajer, 1987)
Novembre 2016 - Dernières nouvelles du cosmos (Julie Bertuccelli, 2016)
Octobre 2016 - Showgirls (Paul Verhoeven, 1995)
Septembre 2016 - Aquarius (Kleber Mendonça Filho, 2016)
Août 2016 - Le flambeur (Karel Reisz, 1974)
Juillet 2016 - A touch of zen (King Hu, 1971)
Juin 2016 - The witch (Robert Eggers, 2015)
Mai 2016 - Elle (Paul Verhoeven, 2016)
Avril 2016 - La pyramide humaine (Jean Rouch, 1961)
Mars 2016 - The assassin (Hou Hsiao-hsien, 2015)
Février 2016 – Le démon des femmes (Robert Aldrich, 1968)
Janvier 2016 – La Commune (Paris 1871) (Peter Watkins, 2000)
Décembre 2015 – Mia madre (Nanni Moretti, 2015)
Novembre 2015 – Avril ou le monde truqué (Franck Ekinci & Christian Desmares, 2015)
Octobre 2015 – Voyage à deux (Stanley Donen, 1967)
Septembre 2015 – Une histoire simple (Claude Sautet, 1978)
Août 2015 – La Marseillaise (Jean Renoir, 1938)
Juillet 2015 – Lumière silencieuse (Carlos Reygadas, 2007)
Juin 2015 – Vice-versa (Pete Docter & Ronaldo Del Carmen, 2015) Top 100
Mai 2015 – Deep end (Jerzy Skolimowski, 1970)
Avril 2015 – Blue collar (Paul Schrader, 1978)
Mars 2015 – Pandora (Albert Lewin, 1951)
Février 2015 – La femme modèle (Vincente Minnelli, 1957)
Janvier 2015 – Aventures en Birmanie (Raoul Walsh, 1945)
Décembre 2014 – Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon (Elio Petri, 1970)
Novembre 2014 – Lifeboat (Alfred Hitchcock, 1944)
Octobre 2014 – Zardoz (John Boorman, 1974)
Septembre 2014 – Un, deux, trois (Billy Wilder, 1961)
Août 2014 – Le prix d’un homme (Lindsay Anderson, 1963)
Juillet 2014 – Le soleil brille pour tout le monde (John Ford, 1953)
Juin 2014 – Bird people (Pascale Ferran, 2014)
Mai 2014 – Léon Morin, prêtre (Jean-Pierre Melville, 1961) Top 100
Avril 2014 – L’homme d’Aran (Robert Flaherty, 1934)
Mars 2014 – Terre en transe (Glauber Rocha, 1967)
Février 2014 – Minnie et Moskowitz (John Cassavetes, 1971)
Janvier 2014 – 12 years a slave (Steve McQueen, 2013)
Décembre 2013 – La jalousie (Philippe Garrel, 2013)
Novembre 2013 – Elle et lui (Leo McCarey, 1957)
Octobre 2013 – L’arbre aux sabots (Ermanno Olmi, 1978)
Septembre 2013 – Blue Jasmine (Woody Allen, 2013)
Août 2013 – La randonnée (Nicolas Roeg, 1971)
Juillet 2013 – Le monde d’Apu (Satyajit Ray, 1959)
Juin 2013 – Choses secrètes (Jean-Claude Brisseau, 2002)
Mai 2013 – Mud (Jeff Nichols, 2012)
Avril 2013 – Les espions (Fritz Lang, 1928)
Mars 2013 – Chronique d’un été (Jean Rouch & Edgar Morin, 1961)
Février 2013 – Le salon de musique (Satyajit Ray, 1958)
Janvier 2013 – L’heure suprême (Frank Borzage, 1927) Top 100
Décembre 2012 – Tabou (Miguel Gomes, 2012)
Novembre 2012 – Mark Dixon, détective (Otto Preminger, 1950)
Octobre 2012 – Point limite (Sidney Lumet, 1964)
Septembre 2012 – Scènes de la vie conjugale (Ingmar Bergman, 1973)
Août 2012 – Barberousse (Akira Kurosawa, 1965) Top 100
Juillet 2012 – Que le spectacle commence ! (Bob Fosse, 1979)
Juin 2012 – Pique-nique à Hanging Rock (Peter Weir, 1975)
Mai 2012 – Moonrise kingdom (Wes Anderson, 2012)
Avril 2012 – Seuls les anges ont des ailes (Howard Hawks, 1939) Top 100
Mars 2012 – L'intendant Sansho (Kenji Mizoguchi, 1954)
Février 2012 – L'ombre d'un doute (Alfred Hitchcock, 1943)
Janvier 2012 – Brève rencontre (David Lean, 1945)
Décembre 2011 – Je t'aime, je t'aime (Alain Resnais, 1968)
Novembre 2011 – L'homme à la caméra (Dziga Vertov, 1929) Top 100 & L'incompris (Luigi Comencini, 1967) Top 100
Octobre 2011 – Georgia (Arthur Penn, 1981)
Septembre 2011 – Voyage à Tokyo (Yasujiro Ozu, 1953)
Août 2011 – Super 8 (J.J. Abrams, 2011)
Juillet 2011 – L'ami de mon amie (Éric Rohmer, 1987)